Imaginez-vous dans 20 ans. Toute expérience de mobilité motorisée commence par la consultation d’un écran connecté. Plus question en effet de monter dans « sa » voiture et de prendre la route sans s’être acquitté du péage, celui-ci comprenant absolument tous les frais devenus variables (énergie, assurance, leasing, taxe de circulation, etc.). D’ailleurs, on grimpe de moins en moins souvent dans « sa » voiture, vu que les autos sont à présent pour la plupart dites « partagées ».
La comparaison de coût est ainsi immédiate entre la voiture personnelle, l’auto-taxi, l’auto-collecto et les transports en commun. Ces services seront détaillés dans les lignes qui suivent. Les autos partagées et sans conducteur peuvent indifféremment offrir un service public (auto-collecto) ou privé (auto-taxi).
En 2040, il est révolu le temps où nos routes belges fauchaient environ 700 à 800 vies par an (chiffres de 2011-2013). Avec l’avènement des voitures sans conducteur, le moindre froissement de tôle fait la une des médias. À Bruxelles où le 30 km/h est devenu la norme (surtout pour une question de confort sonore et d’économies d’énergie), les désormais dénommées « autos » n’ont pas encore fait une seule victime mortelle, malgré plusieurs tentatives de suicide et autres comportements à risque réguliers de la part des autres types d’usagers. Le piratage informatique des autos, quoi que parfois spectaculaire, vise typiquement à kidnapper un magnat international de la politique ou des affaires et n’a à ce jour pas eu d’incidence sur la sécurité du commun des mortels.
Toute expérience de mobilité motorisée commence donc par la recherche du moyen optimal de se rendre du point A au point B. En terme de coût, de crédits-carbone et de temps de parcours. En 2040, celles et ceux qui s’obstinent à tenir à jour leur permis de conduire commencent à se faire rare. Il faut en effet repasser l’examen théorique tous les cinq ans, en plus des tests psychologiques et de résistance au stress sur simulateur de route. Encore un peu plus rares sont les propriétaires de voitures avec ou sans conducteur.
Depuis que le crédit-carbone a été introduit, la mobilité est le domaine d’épargne favori des citadins, aux côtés de l’alimentation (végétalisme) et de l’habitat (cohabitation). Jeunes et moins jeunes veulent continuer à effectuer des voyages lointains, y compris parfois en avion. Or, un voyage transatlantique requiert autant de crédits-carbone que l’usage annuel moyen d’une voiture en 2015.
Le choix des urbains est donc vite fait: on marche quelques centaines de mètres et on attend tout au plus quelques minutes un transport en commun plutôt que de faire appel à une « auto-taxi ». L’épargne de crédits-carbone est totale en cas d’usage de ses pieds ou d’un bon vieux vélo, ce à quoi le planificateur de déplacements ne manque jamais d’inviter. Si les transports en commun n’offrent pas de solution satisfaisante, on peut mixer sa mobilité avec le service « auto-collecto ».
Avec la baisse du niveau de vie dans les pays occidentaux et l’introduction des crédits-carbone, peu de monde se permet encore d’être tout seul en voiture. Le service de taxis collectifs (Collecto) qu’utilisaient nos parents la nuit s’est ainsi généralisé en complément de l’offre de transports en commun. Les parcours « auto-collecto » sont en permanence adaptés en fonction de la demande. Il faut juste accepter un peu de souplesse dans ses déplacements:
- devoir attendre jusqu’à 12 minutes* la prise en charge,
- réserver au moins 1/4 d’heure à l’avance* pour bénéficier d’un meilleur tarif, afin que le système puisse optimiser les parcours,
- voyager avec des inconnu-e-s (un service réservé aux seules personnes du sexe féminin, « autos-collectelles », est à l’étude),
- se voir pris et/ou déposé à un arrêt dédié si cela est jugé plus rationnel par le système ; et enfin:
- accepter un possible changement d’auto en cours de route.
(* ces délais augmentent en milieu rural)
Quant au service « auto-taxi », très gourmand en crédits-carbone et en euros pour les particuliers, il est surtout utilisé par certaines professions pour lesquelles on l’estime indispensable. Le véhicule disponible le plus proche vient vous chercher devant la porte, la plupart du temps endéans la minute, pour vous conduire sans détour à destination. En somme, une expérience similaire au bon vieil Uber, que nos gouvernements sont allés jusqu’à interdire faute de pouvoir l’inclure dans leurs modèles archaïques d’impôt sur le revenu de l’époque.
Les « autos » ont conquis la ville et les campagnes. Elles s’en vont stationner toutes seules là où elles peuvent en attendant une nouvelle course, selon le principe du free-floating. Il n’y a plus grand monde pour défendre le stationnement disponible devant son commerce ou sa maison, une auto pouvant parcourir toute seule la distance nécessaire pour atteindre la place de stationnement libre la plus proche (plus rien n’est laissé au hasard). Là où une voiture Cambio remplaçait 4 voitures individuelles, une « auto » se substitue en ville à au moins 8 voitures particulières (on estime que ces dernières étaient 95 % du temps en stationnement). À la campagne, la dépendance à la voiture étant plus forte, ce rapport baisse jusqu’à une « auto » pour 2 voitures particulières.
Que ce soit en mode « auto-taxi » ou « auto-collecto », le tarif est modulé en fonction du trafic. Il n’est en outre plus autorisé à quelconque véhicule de se lancer dans un trafic trop dense. Malgré une pétition ironique pour sauvegarder les files, celles-ci ont bel et bien disparu du paysage, ce qui ne veut pas pour autant dire que tout est résolu. Pour quitter la ville à 17h une veille de congé, il faut s’y prendre plusieurs jours à l’avance pour réserver son créneau, à un prix jusqu’à 5 fois supérieur aux heures creuses. Un départ immédiat un jour de sommet européen à Bruxelles peut être différé de plusieurs heures, prenant en otage les irréductibles réfractaires aux modes de transport doux.
Les voitures avec conducteurs n’ont qu’à se tenir à carreau: sachant qu’elles créent plus facilement des embouteillages (conduite moins souple, risque accrus d’accidents, mauvaise direction prise, …) elles se voient encore plus fortement tenues à l’écart des heures de pointe. Quant au stationnement, il est imposé par GPS à l’emplacement légal le plus proche. L’arrêt en double file est rigoureusement interdit dès que le trafic atteint une certaine densité. Les déménagements de nuit et du dimanche matin deviennent ainsi la norme, à l’aide de véhicules sans conducteur dédiés.
La quasi fusion de l’automobile et des transports en commun est encore plus marquée à la campagne. Bien des petites lignes de bus sont passées à la trappe, alors que d’autres lignes structurantes se sont renforcées, voire ont été créées. C’est tout le paradoxe des « autos »: elles encouragent d’anciens utilisateurs de voitures avec conducteur à mixer leur mobilité, mais suppriment la raison d’être de lignes de bus rurales qui resteraient peu fréquentées. Même à Bruxelles, l’amplitude de desserte à été revue pour plusieurs lignes périphériques ou tangentielles, et il est loin le temps où un bus 43 caracolait dans tout Uccle, presque vide sur une bonne partie du parcours.
Le maintien ou non d’une ligne de bus se fait par algorithmes et sans états d’âme: est-il plus cher de financer des bus que de financer des voitures sans chauffeur sur un axe donné? Auparavant, on allait jusqu’à considérer qu’un parcours de bus se justifiait à partir de 5 passagers à bord. Aujourd’hui, ce chiffre tend à monter à 12. À coût égal (pour l’usager et les pouvoirs publics), le bus offre le confort d’horaires réguliers (pas besoin de réserver pour obtenir le tarif minimum). En revanche, ce même bus impose souvent au moins une correspondance supplémentaire par rapport aux autos, ainsi qu’un report modal obligatoire dans une amplitude horaire raisonnable autour de son passage, sous peine de passer au tarif « auto-taxi »)
Tout est-il résolu pour autant?
Loin de là. La facilité d’usage de l’auto a engendré une augmentation générale des déplacements. Les embouteillages sont devenus virtuels mais non moins paralysants pour l’économie. Plus inquiétant: une partie des déplacements commence à se faire sans humains à bord: des entreprises, soumises de façon bien moins restrictive aux crédits-carbone, n’hésitent plus à affréter une auto pour se faire livrer un clou manquant. Enfin, les services de chemin de fer souffrent de la rigidité inhérente au rail et bénéficient d’un report modal très inégal, tout en continuant à nécessiter un taux de subvention élevé.
Annexes:
Crédits:
Photos 1 et 2: http://mobil2040.irisnet.be/
Photo 3: Mercedes
Photo 4: Next
Voyage en groupe
Bon post. j’apprécie bien souvent votre site et vous lire.
Merci pour ces moments de partage.